JONATHAN ROUSSELLE, S'AFFIRMER PUIS GAGNER
Quand la majorité des petits garçons rêvent de la NBA, Jonathan Rousselle voulait lui simplement évoluer en Pro A. Mais le Nordiste en a fait un véritable objectif, au point de travailler d'arrache-pied afin de devenir le meneur qu'il est aujourd'hui, aux portes du Top 10 des joueurs français à l'évaluation (11e, avec 12,17, après huit journées).
"J'étais ce petit qui profitait de chaque temps-mort pour aller shooter", sourit Jonathan Rousselle au moment d'évoquer son enfance. Une jeunesse marquée par la balle orange. Issu d'une famille basket, fils d'un ancien joueur de haut niveau devenu entraîneur professionnel, le Nordiste a grandi avec un rêve en tête : faire carrière dans le basket, la Pro A en ligne de mire. Plus de deux décennies se sont écoulées depuis ses premiers pas de basketteur et le plan se déroule sans accroc : à 27 ans, Jonathan Rousselle (1,88 m) est officiellement devenu un meneur titulaire en Pro A, le taulier de l'équipe de Cholet.
Le chemin a été long, sinueux, parfois piégeux. Il faut dire aussi que le natif de Seclin partait avec un certain désavantage sur la ligne de départ : son physique, "très frêle", se souvient Fabien Desfachelles, son premier entraîneur au BCM Gravelines-Dunkerque en 2005. Mais l'enfant de la Jeune Garde de Tourcoing a travaillé, plus que les autres, et il y est arrivé. Au point d'enfiler le maillot de l'équipe de France dès l'âge de 16 ans, un premier aboutissement pour lui. "C'est un moment qui m'a marqué, qui était super impressionnant. J'avais ressenti beaucoup de fierté au sein de mon entourage. À l'époque, c'est quelque chose qui me semblait un peu irréalisable." Sûrement beaucoup moins pour son ancien coach... "C'était déjà un garçon remarquable dans son attitude : très à l'écoute, perfectionniste et gros travailleur", complimente Fabien Desfachelles. "Je ne suis aucunement surpris de son parcours. Il le doit à son talent, son travail et surtout à son humilité et sa capacité à se remettre en question de manière très régulière." Car non, le travail ne fait pas tout. Jonathan Rousselle a toujours été talentueux, doué balle en main, et menaçant offensivement avec cette mécanique de shoot si caractéristique, armé de très bas pour une trajectoire très haute. "Il possédait déjà un jeu très offensif, avec un formidable bras pour le tir à trois points", renchérit Fabien Desfachelles, qui entraîne désormais le BC Ardres en NM3. "Après avoir été le fer de lance de l'équipe régionale minimes Nord-Pas-de-Calais, il est arrivé en cadets première année et s'est immédiatement fait une place dans la rotation de l'équipe Espoirs. Il n'a ensuite cessé de progresser jusqu'à intégrer les sélections nationales de jeunes. Il a gagné en puissance athlétique, ce qui lui a permis de porter le danger à la fois sur la percussion et sur le tir extérieur."
Ici devant Kostas Sloukas (n°11) en 2010 à Evry, Rousselle a porté le maillot bleu pendant deux étés
(photo : Olivier Fusy)
Et des progrès, le Choletais n'a pas fini d'en faire. La preuve : lors de son arrivée dans les Mauges l'année dernière, Philippe Hervé lui avait confié qu'il ne l'estimait pas capable d'assumer un rôle de meneur titulaire en Pro A. En enchaînant les prestations convaincantes, le joueur lui a prouvé qu'il avait tort, a poussé Angel Rodriguez vers le banc puis vers la sortie, et est désormais le patron incontestable au poste 1 (25 minutes de moyenne). Tout ce dont Rousselle avait imaginé en débarquant à la Meilleraie en 2014, au terme d'une saison des plus frustrantes avec Gravelines-Dunkerque. À l'époque, de retour dans son club formateur après un prêt brillant à Boulogne-sur-Mer en Pro B, il s'était imaginé avoir un vrai rôle dans l'équipe de Christian Monschau. Et s'il a pu grappiller du temps de jeu dans l'élite (14 minutes), il l'a surtout dû à la cascade de blessures subie par le club maritime cette année-là. Alors, pour atteindre ses objectifs, il a senti qu'il fallait prendre son envol loin du nid. "J'avais beaucoup d'attentes en retournant à Gravelines", explique-t-il. "Je sortais de la meilleure saison de ma vie, je me dis que c'est parti, surtout que le BCM voulait me rapatrier. Mais, avec tout ce que je dois à Gravelines qui reste mon club de cœur, j'avais le sentiment que j'étais encore considéré comme le petit jeune. Malgré tout ce que j'avais fait à Boulogne, je sentais que le regard de tout le monde n'avait pas forcément changé, que je restais le petit espoir aux yeux de mes coéquipiers et des coachs. Quand on me parlait, c'était comme au petit de quinze ans qui venait d'arriver au centre de formation. Quitter le Nord était devenu une nécessité et une vraie envie. Le projet du BCM avec moi était le même. Il a fallu beaucoup de circonstances pour arriver à faire quelque chose de correct au cours de cette saison."
Son shoot, facilement reconnaissable, ne lui aura malheureusement pas permis de s'imposer au BCM
(photo : Valentin Delrue)
Plus que tenté par la perspective de rejoindre la JSF Nanterre en 2014, il opte finalement pour Cholet Basket, convaincu par la promesse de plus grandes responsabilités sportives. Sur ce point-là, Jonathan Rousselle n'a pas été floué. Jusqu'à cet été, les meneurs étrangers se sont succédés dans le Maine-et-Loire (Paul Delaney III, Trevon Hughes, Kevin Dillard, DaShaun Wood, Angel Rodriguez et Marcus Williams) mais l'ancien Lillois a toujours disputé plus de 20 minutes de moyenne, 25 pour l'instant lors des premiers contours de sa quatrième saison à CB, un record. "Ça a été une évolution constante à Cholet", se satisfait-il. "Je suis arrivé sur la pointe des pieds. Je cherchais des responsabilités mais il fallait assumer et montrer. Je sortais de mon confort, c'était le grand saut. Il a fallu passer par une phase d'apprentissage. Les deux premières années, j'étais un peu timide dans le jeu, je ne prenais pas assez de risques en attaque. Je voulais vraiment être le bon coéquipier, le bon meneur de jeu, mais je me suis rendu compte qu'ils ne m'avaient pas fait venir pour ça et que j'étais en train de perdre mon agressivité naturelle." De son propre aveu, l'arrivée de Philippe Hervé sur le banc choletais a constitué un vrai tournant positif dans sa carrière. Maître tactique reconnu, l'ancien Orléanais a d'abord vexé Rousselle en lui avouant qu'il ne le "connaissait pas beaucoup" avant de réussir à en tirer la quintessence. "Tous les coachs passés par Cholet ont été géniaux avec moi mais le déclic s'est fait l'année dernière. Philippe a réussi à me mettre à l'aise et à me donnner beaucoup de confiance et de responsabilités." Et si l'international A' a finalement décidé de rempiler à Cholet l'été dernier après avoir activé sa clause de départ, c'est en grande partie grâce à Philippe Hervé. "Le fait que le coach reste a énormément joué dans ma décision", confirme-t-il. "Nous avons une très bonne relation".
Maintenant, il veut gagner
Cela dit, Philippe Hervé ou non, Jonathan Rousselle a très sérieusement songé à quitter les Mauges. Il "avait envie d'autre chose", avait "d'autres ambitions sportives" et pensait pouvoir trouver un autre challenge mais les quelques touches dont il a disposé n'ont pas été suffisamment sécurisantes pour le pousser à s'éloigner de la Meilleraie. "Vu le rôle qu'on m'a proposé et l'attachement que j'avais au club, je me suis dit que c'était pas plus mal de rempiler", justifie-t-il. Pourtant, on ressent chez lui une véritable lassitude par rapport à la situation sportive actuelle de Cholet. "Quand tu n'atteins pas les objectifs comme ces derniers temps, il y a beaucoup de remise en question", soupire-t-il. "Tu cogites, tu te demandes comment tu vas y arriver... Ce n'est pas forcément pour ça que l'on fait ce sport là." Les saisons à vingt défaites ou plus s'enchaînent, les vicissitudes du monde professionnel apparaissent. "C'est la première fois dans ma carrière que je vois un coach se faire couper. Cela a été un vrai choc car Laurent Buffard faisait du bon travail. C'est là que l'on se rend compte, nous joueurs, que ce que l'on fait sur le terrain a un gros impact en dehors." Réfléchi et posé, il porte aussi un regard lucide sur la situation actuelle de Cholet Basket. "C'est un club historique. mais qui dit histoire dit plutôt passé. Je pense qu'il y a eu un virage qui a été manqué, sûrement avec la salle. Au moment où ils avaient le vent dans le dos, la Meilleraie aurait dû soit être rénovée, soit changée. Je pense qu'ils auraient dû profiter d'être au top pour prendre ce tournant-là qui aurait pu faire beaucoup de bien au club." Au lieu de cela, depuis le sacre de 2010 et la défaite au buzzer lors de la finale en 2011, Cholet empile les saisons sans saveur, et ne peut travailler dans la continuité. Depuis son arrivée en 2014, Jonathan Rousselle a évolué aux côtés de 33 coéquipiers étrangers. Un total qui donne le tournis... "Forcément, ce n'est pas ce à quoi j'aspire. Cholet aussi mais ils ne font qu'essayer de trouver des solutions. Quand il y a des résultats en dents de scie, on sait bien que ce sont souvent les joueurs étrangers qui payent d'abord les pots cassés."
Cette valse des étrangers, cette instabilité permanente malgré quatre saisons d'affilée dans un même club, sont aux antipodes du moteur principal de Jonathan Rousselle. Quand on évoque ses meilleurs souvenirs en carrière, le titre de champion d'Europe Espoirs en 2010 et ses deux saisons boulonnaises, la même expresson revient inlassablement : "L'aventure humaine". Sept ans se sont écoulés depuis le sacre continental surprise de la génération 1990 d'Andrew Albicy mais le sourire est permanent lorsque cela revient dans la conversation. "C'est l'aboutissement de beaucoup d'étés. Que notre génération, qui n'avait pas encore gagné grand chose, puisse boucler la boucle de cette manière, c'était super. Il y avait une cause commune pour Jonathan Bourhis, ça nous a transcendé. La motivation n'état pas dure à trouver. Avec Henri Kahudi, je venais en rotation d'Andrew Albicy qui avait marché sur l'eau pendant toute la compétition. Il y avait une vraie hiérarchie dans l'équipe, il aurait pu y avoir un peu de frustration, mais pas du tout. L'aventure humaine était prioritaire". Quant au fameux projet jeune du SOM Boulogne-sur-Mer dont il est issu en compagnie de Mouhammadou Jaiteh, Valentin Bigote (le cousin de sa femme, Laura) ou encore Abdoulaye Loum ? Les mêmes souvenirs émus... "Ce sont vraiment mes deux saisons références . Boulogne a sûrement contribué à changer les mentalités en montrant que la Pro B est un bon championnat pour les jeunes joueurs. Mais encore une fois, je retiens le côté humain. J'ai rencontré des gens magnifiques qui m'ont marqué à vie : les coachs Germain Castano et Fabien Anthonioz, le GM Olivier Bourgain, le président Desgardin... C'était presque une relation amicale, c'est très rare dans ce milieu. J'en ai conscience, c'est vraiment un truc auquel j'attache beaucoup d'importance. Et les joueurs, autant les Français que les Américains, étaient tous formidables et ont souvent vu leur carrière décoller après Boulogne."
Boulogne, un tournant dans le parcours de Jonathan Rousselle
(photo : Vincent Janiaud)
Coïncidence ou non, ces deux aventures humaines correspondent aux deux plus belles périodes victorieuses de la carrière de l'ancien pensionnaire du CREPS de Wattignies. Pas attendus pour un sou, les Bleuets avaient brisé les rêves du champion grec - et de sa future garde d'EuroLeague, Nikos Pappas, Kostas Sloukas et Kostas Papanikolaou - en finale (73-62) de l'EuroBasket à Zadar. Et à l'époque du SOMB, l'équipe de Germain Castano avait disputé les playoffs de Pro B à deux reprises et atteint les demi-finales de la Coupe de France 2013 en sortant notamment la SIG d'Alexis Ajinça suite à un buzzer beater de Zaynoul Bah. Alors forcément, voir que, malgré les changements permanents, Cholet Basket a pris un abonnement à l'anonymat du ventre mou de la Pro A est loin de le satisfaire. "J'ai envie de vivre des émotions un peu plus fortes", souffle-t-il. Par conséquent, Jonathan Rousselle n'ambitionne désormais plus qu'une chose. Après avoir réalisé son rêve de se faire une place en Pro A, après être devenu un meneur titulaire dans l'élite, le natif de Seclin veut maintenant gagner des matchs, tout simplement. "Franchement, je ne cache pas que j'ai envie de ça, oui", avoue-t-il sans hésitation, lui qui a quand même connu goûté aux joies d'un trophée en club, avec la Semaine des As 2011 sous les couleurs du BCM, certes dans un rôle mineur (14 minutes sur la compétition). "En ce moment, on me demande souvent mon meilleur souvenir et je reparle tout le temps de cette médaille d'or en U20. Sept ans, ça commence à faire quand même... J'aimerais vraiment être dans une situation où je serais à même de gagner. Je suis prêt à avoir un moins grand rôle car je sais que les responsabilités sont partagées dans les grandes équipes. Les titres, c'est ce qui restera à la fin et c'est ce que je montrerai à mon fils. Avec tout l'amour que j'ai pour Cholet, et tant mieux si c'est avec eux, j'ai vraiment envie de passer du côté où je gagne des matchs, d'être dans une situation où je pourrais prendre plus de plaisir que ces derniers temps."
À Cholet, les saisons se suivent et se ressemblent...
(photo : Vincent Janiaud)
En attendant, Jonathan Rousselle ne trahira pas sa réputation du côté de la Meilleraie. Sous contrat avec CB jusqu'au 30 juin 2018, il continuera à mouiller le maillot comme personne, à tout donner, à compenser son déficit athlétique par une intensité supérieure et une certaine roublardise, afin de noircir la colonne des victoires de Cholet. "Je suis un joueur qui ne lâche rien", se décrit-il. "Mais c'est le minimum, ça ne demande aucun talent. J'essaye d'être irréprochable dans l'engagement, malgré les erreurs que je peux commettre. Je ne triche pas et je crois que les gens ici apprécient cela." Co-capitaine avec Ilian Evtimov, il représente un bel exemple pour ses coéquipiers. "Un joueur comme lui est important pour des jeunes comme nous car il a du vécu et une éthique de travail impressionnante", commente Abdoulaye Ndoye, l'étoile montante (19 ans) de Cholet sur les postes 1 et 2. "Il est très sérieux et très exigeant avec lui-même mais aussi avec ses coéquipiers. Ce n'est pas celui qui conseille le plus, comme Ilian peut le faire par exemple, mais il est très expressif sur le terrain et en dehors." Cette implication n'est pas feinte, encore moins nouvelle. Jonathan Rousselle était déjà comme cela il y a douze ans, au moment d'intégrer le centre de formation du BCM Gravelines-Dunkerque. "C'est un vrai leader, un coéquipier très respecté et apprécié de ses partenaires", affirme Fabien Desfachelles. "C'est un joueur sain, un mec bien tout simplement et une chance pour Cholet Basket d'avoir ce joueur dans son effectif." Désireux de vivre une saison collective différente des dernières - au point, dans un souci de motivation, d'avoir affiché dans le vestiaire choletais un article de BeBasket dans lequel nous prévoyions un nouvel exercice compliqué pour l'effectif de Philippe Hervé -, le meneur ch'ti veut aussi confirmer ses belles promesses de 2016/17 et "prendre une autre dimension". Individuellement, le premier bilan est bon. Mais le dernier match contre Limoges résume à lui seul son passage dans les Mauges : une jolie performance personnelle (16 points à 5/6, 5 rebonds et 8 passes décisives pour 23 d'évaluation) dans la suite logique de son développement individuel mais une défaite au bout (86-89).
"Pour un petit gamin de Seclin..."
Il lui reste encore 26 matchs pour changer le cours de son histoire choletaise. Et ensuite, on devine entre les lignes qu'il tentera, une nouvelle fois, de dénicher un autre défi. Mais déjà, son parcours est une formidable réussite par rapport à ses rêves d'enfant. "Mon objectif était de faire carrière en Pro A et c'est en train de se dérouler correctement. Je bosse énormément pour essayer d'être le meilleur joueur possible et de n'avoir aucun regret à la fin. L'étranger ? Si je fais toute ma carrière en France, je ne le vivrais pas du tout comme un échec. Je suis conscient de mes défauts, j'essaye de les gommer. Aller à l'étranger, j'adorerais ça. Mais je sais que j'ai un vrai cap à passer. Être un très bon joueur en Pro A est déjà un passage obligé, tant pour le regard des autres, à commencer par les coachs, que pour moi-même, pour que je puisse me dire que j'ai tout prouvé à la maison. Mais oui, c'est un vrai objectif à moyen terme, c'est un truc qui me plairait beaucoup. L'Espagne ou l'Italie, ça reste encore un peu au stade du rêve. J'aimerais bien un jour pouvoir toucher à ça, je pense que ce serait déjà une belle ascension pour un petit gamin de Seclin." À force de travail, l'ascension est déjà admirable...
Avant la fin de sa carrière, Jo Rousselle (ici, à gauche de Paul Lacombe) veut vivre d'autres moments forts
Source : BeBasket